Allocution de Michel Treutenaere (30 juin 2009) en réponse au Discours d’inauguration de Mme Mariem Ould Daddah, Présidente de la Fondation Moktar Ould Daddah.

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, chers amis, merci pour votre venue, votre présence ici à la Fondation Moktar Ould Daddah et de l’intérêt porté à la parution de ces poésies de Mauritanie réunies sous le titre Barkhanes et Zirê. Dunes vives incurvées, en forme de croissant, issues d’une autre langue et transportées jusque dans le dictionnaire français ; grande dune isolée que l’on aperçoit de loin en loin parmi une trentaine de familles de dunes. Titre symbole en quelque sorte de la diversité du monde, diversité chère à Victor Segalen, diversité-intensité du monde saharien et sahélien que cette exposition entend à sa manière célébrer. L’essentiel de ce qui doit être dit sur le recueil de poésies qui a donné lieu à cette exposition, du moins par son auteur, affleure dans l’avant-propos que ses lecteurs pourront découvrir.

Je voudrais simplement donner quelques pistes sur le pourquoi de cette publication et sur cette exposition qui regroupe aux côtés de 15 poèmes sur la Mauritanie des illustrations issues de la collection de formes et de couleurs de Marie-Françoise Delarozière, des peintures de Khadijetou mint Ismaïl consacrées aux arcanes de la culture maure ainsi qu’un diaporama des dessins et peintures d’Ursula Schmidt réalisés au cours de plusieurs périples en Mauritanie. Que ces trois dames soient particulièrement remerciées car ces poésies ne peuvent être mieux accompagnées que par cette complicité « Etfag. ». De même je souhaiterais tout particulièrement remercier les artistes de talent Abderrahmane Ahmed Salem, Sidi Yahya (qui expose actuellement au centre culturel français) pour la part essentielle qu’ils ont prise dans la conception et la réalisation même de l’exposition qui va être ouverte dans quelques instants ainsi que Kébé Mansour pour ses tableaux évoquant les cultures du Sud. Il y a enfin beaucoup d’autres remerciements institutionnels et personnels relatifs au livre même qui sont présentés à l’entrée de l’exposition.

Si l’on observe de prime abord le recueil, on peut sans doute trouver un rappel du Yang et du Yin, du ciel et de la terre, et du vide médian entre ces dunes aux couleurs mouvantes et aux ombres errantes dépolies en couverture de la main gauche. A la main droite, le rouge brun de Oualata, omniprésent, est agrémenté d’un motif en arabe stylisé prisé des anciens artisans, art et symbole du Sahara, où l’on retrouve, entremêlés, gazelle et coquillage et d’autres caractères entre « R’zal et «Wouada». La contrée désertique et silencieuse de portée mélodieuse fait à l’oreille « comme un murmure lointain de mer «, évoqué sous d’autres cieux par St John Perse, murmure que l’on peut capter au cœur même du désert y compris à proximité de la ville.

L’intensité et d’une certaine façon l’immédiateté du sentiment de familiarité, de l’accord existentiel ressenti par l’habitant d’une contrée du nord avec ces étendues où l’immensité se lie avec l’austérité, n’avaient pas laissé de me surprendre lors de mon arrivée. Et puis l’idée s’est imposé qu’il pourrait s’agir d’une sorte d’accomplissement à distance des cheminements de l’enfance sur une côte d’Opale où les dunes furent de souveraines complices. Emprunt de la voie qui relie un petit bourg flamand entre dunes et marées avec ce pays de côtes majestueuses où l’immensité déploie ses fastes, exposition en écho, en assonance atlantique pourrait-on dire avec le parcours architectural et végétal méditerranéen de Cordoba à Oualata récemment ouvert au public à quelques pas d’ici.

Plus qu’une passerelle, ce recueil est sans doute la résultante de deux sources, bien différentes mais aux vertus conjuguées sur des modes à la fois fragiles et puissants.

Austère et farouche beauté des sites, des paysages, des horizons qui font signe aux détours de chacun des poèmes, des signes et des traits au sein de chacune des peintures et illustrations qui les accompagnent.

Il ne s’agit pas principalement d’un exercice de poésie appliquée à un pays hors du commun aussi subjuguant soit-il et qui peut assurément susciter le vertige, mais plutôt d’un guide initiatique à travers les espaces comme les ouvrages de l’art (la bibliographie au fil du voyage poétique témoigne du fait de sa présence qu’il ne s’agit pas d’une œuvre poétique classique renonçant systématiquement à citer ses sources livresques alors qu’il s’agit ici précisément de les faire partager), guide en phase avec la pérégrination, la randonnée spirituelle à laquelle vous êtes, nous sommes, frères humains invités.

Il ne faut point y chercher chacun des lieux, chacune des configurations emblématiques de la Mauritanie mais se référer simplement aux points de repère que constituent un certain nombre de ces lieux pétris d’histoire, les plus récents comme les plus antiques. Le séjour eut-il été plus conséquent, le nombre des lieux évoqués aurait prospéré. Merci au passage au comité de l’Alliance de Kiffa d’avoir été le premier, à l’issue de la cérémonie du Centenaire de la naissance de la ville d’avoir bien voulu publié en premier lieu le poème composé à cette occasion.

Il s’agit d’un livre interstice qui s’est faufilé dans les méandres d’un temps fortement contraint, temps du transport tout terrain ou par tous véhicules, qui furent propices à l’écriture.

C’est aussi un livre oasis dont la réalisation a été l’occasion de retrouver des forces et de faire face au découragement qui guette parfois les professionnels impliqués avec passion dans leurs activités. Ainsi Jacques Rigaud, ancien directeur à l’Unesco se plaisait à souligner que l’accès à la culture sous une forme ou une autre était une condition nécessaire « pour qu’une journée de travail soit une vraie journée de vie ».

Un livre plaisir et pour faire plaisir sans autre parti pris que celui de la beauté pour dépasser les contingences d’une période troublée.

C’est aussi un livre projet non point commis à la vente mais se présentant comme une sorte d’offrande partagée, dont l’intégralité des recettes est destinée à appuyer, avec d’autres, une future initiative de la Fondation en direction d’un prix du dialogue culturel. en milieu scolaire ou universitaire, prix destiné à des jeunes de Mauritanie, remis par exemple à l’occasion des rendez vous annuels de Lire en fête ou du Printemps des poètes, ou encore de bourses d’étude locale sur des critères à définir par un jury pluriculturel où les écrivains poètes mauritaniens devraient être représentés.

Ce sont les bibliothèques, les musées, les groupes musicaux traditionnels, les lieux de patrimoine matériel ou immatériel comme cette fondation qui sont les sources même du lien social sans lequel il n’est point de Nation, les sources de l’identité nationale garante d’une capacité de transmission de la mémoire et des valeurs ainsi que d’une appétence au dialogue productif entre les cultures. L’académicien François Cheng, héritier de la pensée cosmogonique de l’Empire du Milieu, dans un ouvrage résumant son itinéraire littéraire et sa passion mûrie pour la langue française, se plait à évoquer l’image idéale de la culture comme « un jardin à multiples plantes qui rivalisent de singularité et qui, par leurs résonances réciproques, participent à une œuvre commune ». Cette image qui concerne directement le parqué précité mais aussi le monde des Parques et des Muses vaut particulièrement pour cette exposition où chacun d’entre nous est invité à marcher, à faire son chemin entre les cultures en s’abreuvant aux différentes sources qui montrent la voie en direction de formes de vie ouvertes.

« La poésie en Mauritanie est plus qu’un art. Elle est autre chose et quelque chose de l’ordre d’une raison. Le penser maure procède de la poésie et la poésie l’éclaire », ce qui vaut aussi pour les cultures du Sud, rappelle le Pr. Taleb-Khyar depuis notre chère Sorbonne. Durant mon séjour auprès des Mauritaniens de toutes conditions, j’ai pu me rendre compte qu’il ne s’agissait pas là d’une simple formule. Il existe un engouement poétique qui contraste avec la relégation de la poésie qui prévaut trop souvent quand on s’éloigne des déserts et des fleuves. Même si l’espoir évoqué par Mohamed Ould Taleb admirateur d’Abou Tayeb Moutenebi, de Baudelaire et de Victor Hugo, d’un festival international de poésie qui concoure à régler les problèmes du monde, contient évidemment sa part d’idéal sans lequel il n’est point de poésie possible, OUI la poésie peut être un vecteur privilégié d’échanges culturels entre les peuples.

Merci pour votre attention Choukrane Allê Intibeîkoum, OneDiarama Bandirabé ; Kha Gatiéma Ngori Ngaha Mamana ; Dierediof Tewaï